Floriane Toussaint (Université Paris III-Sorbonne Nouvelle) Spectralisation de la scène sous l’influence de Dostoïevski : le cas de Bracia Karamazow de Krystian Lupa [22 octobre 2021]

Colloque "Spectres de Dostoïevski", Université de Strasbourg, 20-22 octobre 2021, organisé par Nicolas Aude, Victoire Feuillebois et Karen Haddad

Résumé de l'intervention :

Dostoïevski hante l’histoire du théâtre, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Alors que l’art théâtral connaît de profondes mutations tout au long de cette période, ses œuvres sont en effet adaptées avec une régularité remarquable, en France et en Europe. La mise en valeur du motif fantastique du spectre invite à faire l’hypothèse que l’adaptation de ses romans accompagne l’une des mutations majeures de cet art pendant cette période : celle de la remise en cause de l’esthétique réaliste qui triomphe à la fin du XIXe siècle.

Pour étayer cette hypothèse, cette communication se propose d’évoquer plusieurs adaptations qui ont marqué l’histoire du théâtre, et qui, chacune à leur manière, ont cherché à rendre compte du « réalisme fantastique » de Dostoïevski : celle de Ginisty et Le Roux, premiers adaptateurs de Dostoïevski en France ; celles de Nemirovitch-Dantchenko et celle de Jacques Copeau, qui ont marqué le début du XXe siècle ; puis celle d’Albert Camus (1959) et celle de Iouri Lioubimov (1985). Dans un second temps, nous nous appesantirons sur celle du metteur en scène polonais Krystian Lupa, Bracia Karamazow, créée en 1990 au Stary Teatr de Cracovie et présentée en France au début de l’année 2000. Cette adaptation nous paraît tout particulièrement se prêter à la question de la représentation des spectres de Dostoïevski au théâtre, car le metteur en scène, en déstabilisant les coordonnées de la représentation, rend possible la coexistence sur scène du réel et de ce qui le dépasse – les rêves et la spiritualité des personnages, peuplés de fantômes et de démons. Ce spectacle, qui s’apparente à une suite de visions assignées à diverses subjectivités, paraît exemplaire du phénomène de spectralisation de la scène à laquelle les adaptations des œuvres de Dostoïevski semblent inviter.